mercredi 26 août 2009

Nostalgie homosexuelle?


La vie des gays était-elle meilleure avant ? Ou bien? Pendant le week-end du 13 juin, en Ardèche, invités par Fabien Boissonade, il y a eu plein de discussions et de souvenirs. On était là, sous le soleil, autour de la piscine, une quinzaine de gays et de lesbiennes, de presque toutes les générations et de races. Et les histoires ont commencé à ressembler à des bilans. Mon mari a fini par rigoler. À 28 ans, il était celui qui disait : « Y’en a marre, tout ce que vous dites sur les clubs et la musique, on dirait que c’était toujours mieux avant ». Et il y avait des amis de 30 ans, ou 40 ans qui répondaient, un peu en regardant leurs pieds : « Mais c’est vrai. En musique, ou dans le clubbing, ou dans le militantisme, c’est clair ». Pendant le week-end, c’est devenu un leitmotiv drôle : « Ouais, c’est ça…c’était mieux avant ! ».

La vie des gays était-elle meilleure avant ? Cette question si simple se pose rarement, à part dans l’intimité ou sur les blogs. Elle est peu abordée dans le combat pour les droits des LGBT parce que les structures, surtout en France, ont un peu de mal à situer le militantisme dans une perspective historique. C’est ce que tentait de faire la Gay Pride cette année, en liant ce que nous sommes à ce qui s’est passé il y a quarante ans, lors de Stonewall. Combattre l’homophobie, insister sur les droits et poursuivre la lutte contre le sida nécessite forcément des repères, au moins pour évaluer si des progrès ont été faits, si des nouveaux droits ont été obtenus.

Or, de plus en plus, alors que la nouvelle génération gay se fait de plus en plus entendre, parce qu’elle est plus visible, une nostalgie se développe. Pas besoin d’aller chercher dans la période glorieuse des années 80 qui a vu l’explosion du style de vie gay et des associations de lutte contre le sida. Pas besoin de regarder non plus vers Lady Gaga et le raz-de-marée des années 80 dans la pop actuelle la plus commerciale. Ces homosexuels commencent désormais à développer aussi une nostalgie pour les années 90 comme le sommet d’une certaine générosité entre gays et lesbiennes. Cette générosité est ce qui nous attache au passé, exactement comme le succès de « Milk » (le film, le livre, le documentaire) a bénéficié d’un travail sur les archives. Un autre exemple plus actuel, c’est le docu « Sex Positive » de Daryl Wein, qui raconte le début de l’épidémie du sida sur l’angle du safe sex et qui bénéficie d’une grosse campagne de pub dans les médias gays US. Comme pour « Milk », ces films sont souvent écrits ou préparés par des homosexuels trentenaires.

Ces films montrent aussi, parce qu’ils décrivent le passé, que les gays et les lesbiennes vivent mieux aujourd’hui qu’avant, c’est indéniable. C’est donc un constat qui s’oppose à la perception d’une vie gay plus excitante par le passé. Nous n’avons jamais eu autant d’outils dans les mains. Du sexe ? Il suffit de tendre la main (so to speak). Bars, sex clubs, Internet, renaissance de la drague dans les parcs, partouzes chez les jeunes, nouvelles drogues, le choix est infini. Des médias ? Ils couvrent chaque niche identitaire. De la culture ? De YouTube aux arts majeurs, les gays et les lesbiennes n’ont jamais été aussi visibles, à tel point que le marché des DVDs LGBT semble atteindre un plateau. La tolérance de la société est à son plus haut niveau. Même si certains vous disent qu’on régresse, ce n’est pas vrai. Attendez, même les parents qui vivent le coming out de leur fils ou de leur fille sont de plus en plus nombreux à répondre désormais : « À part ça, tu veux encore du pain pour ton Boursin ? ».

Dans « Culture Shock », Alvin Toffler fut le premier à prédire que les valeurs modernes seraient transformées par deux forces : l’accélération (de tout) et la prolifération (dans tous les sens) des sous-cultes. En clair : l’underground explose, tout le monde s’en revendique. Presque 40 ans après, le grand cliché de maintenant est de se demander qui nous sommes. La moindre boulangère cherche son identité, alors, pensez, les homosexuels. Cette identité n’est pas un produit à vendre, c’est un sur produit : « The intensification of the problem of overchoice presses us towards orgies of self examination, soul searching and introversion. It confronts us with that most popular of contemporary illness, the « identity crisis ».

Les gays et les lesbiennes sont plutôt bien placés dans la société moderne. Même quand ils sont précaires, ils sont souvent moins précaires que les autres. Quand ils sont stigmatisés, ils le sont souvent moins que ceux qui ont le malheur d’avoir la peau foncée. Même dans les temps les plus durs, la mobilité des gays leur permet de s’échapper du fardeau familial, et c’est ce que des milliers de personnes LGBT font chaque année. Ils quittent leur famille. Cette liberté homosexuelle, c’est un avantage qui permet de dire aux autres, quand on n’a plus d’arguments : « Vous faites chier, je pars ».

Bien sûr, de nouvelles formes d’homophobie se sont développées. L’homosexualité dans les cités devrait être au centre du combat LGBT moderne. Pour l’instant, ce combat s’est surtout limité à montrer du doigt les homophobes. Mais on sait que même dans les cités, la perception de l’homosexualité n’est pas aussi primaire qu’on le dit dans les reportages à la télé. Et quand on voit aussi les milliers de profils sur les sites de rencontres identitaires, il faut bien admettre que les gays et les lesbiennes de la génération précédente n’avaient même pas cette chance. Aujourd’hui, il y a plein de jeunes blacks gays qui veulent sortir avec leurs semblables. Chez les Beurs, c’est pareil. Et c‘est bien. C’est ce qu’on a vu depuis vingt ans dans les clubs de Londres ou de New York. Enfin, ça arrive en France.

La vie gay était-elle meilleure avant ? Peut-être pour les Blancs. Pour la nouvelle génération, beaucoup plus mixte, Now is the time. Ces jeunes n’ont jamais été aussi beaux et leur avis n’a jamais autant compté. Que leur manque-t-il pour être heureux ? Pour moi, rien. La crise actuelle, dans la communauté gay ou dans la société, rend encore plus difficile pour trouver un travail et s’affirmer. Mais rien n’empêche ces gays et les lesbiennes de se battre pour obtenir ce qu’ils veulent. Ils peuvent, eux aussi, arracher ce que leurs frères et leurs sœurs ont obtenu, en se battant, pendant la génération précédente. Le futur de la question gay n’est pas chez les Blancs. Le renouvellement, il sera forcément du côté des gays Noirs et Beurs, c’est pour ça qu’ils doivent se battre pour nous obliger à se pousser pour leur laisser la place. Et tant qu’on n’aura pas dit ça, qu’on ne l’aura pas traduit dans les programmes des associations, des Gay Pride et des festivals LGBT, on n’avancera pas sur le combat contre l’homophobie. C’est le vrai underground d’aujourd’hui. Si j’avais 30 ans aujourd’hui, c’est ce que je ferais. Un fanzine comme Butt ou Kaiserin, pour les Blancs, les Beurs, les Noirs gays. Utiliser la crise économique comme levier de pression pour alerter sur des revendications concrètes. Avancer sur les droits des minorités ethniques gays, c’est pour moi beaucoup plus urgent ET intéressant que participer à un combat pour donner son sang. Ou sa moelle osseuse.

11 commentaires:

  1. Ce qui fait défaut à ces jeunes blancs mais à nous tous collectivement, c'est la contre-culture au sens de la culture du contre. En lieu et place de cet underground qui se satisfait trop rapidement d'un pauvre sous-sol voire d'un entresol médiocre mais clinquant.

    Et si le futur de la question gay est chez les beurs et les blacks, il est surtout dans le progrès qu'ils sauraient apporter à la communauté et la capacité de cette dernière à réellement vouloir ce progrès, au-delà de ses revendications propres, pour l'ensemble de la société.

    F.B.

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  2. F.B ? FABIEN BOISSONNADE ?
    apres j'ai eu peur que ce soit moi (Frank Boulanger)

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  3. Un truc qui me turlupine, pas que je ne sois pas d'accord avec la lecture de F.B., au contraire...
    Marx la logeait dans le prolétariat, Marcuse chez les étudiants, etc., ce qu'une certaine théorie politique, disons révolutionnaire, appelait (de ses voeux) puissance du négatif : une puissance de renversement qui mette les choses dans l'ordre juste.
    C'est quand même une tâche énorme, non ?

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  4. Il est de mon avis que par essence, l'ordre n'est jamais juste.

    Quand il m'arrive de participer à un contre-rassemblement du G8, c'est comme personne attachée au progrès pour tous mais c'est aussi (principalement?) en tant que gay, contre les préjugés qui dans ce contexte aussi persistent et bien sûr pour partager mes réflexions, mes expériences et ma pratique d'activiste gay. J'apporte au cadre commun de mobilisation une couleur supplémentaire.

    Quand je participe à la Pride voire même à une simple discussion entre gay autour d'une piscine en Ardèche, c'est en tant qu'homme de gauche gay, électron libre à tendance anarco-affinitaire;-) et pour les mêmes raisons. Pour combattre la marchandisation des rapports et des relations sociales, l'appauvrissement des réflexions au sein de ma communauté. C'est aussi pour faire le lien, pour, comme le suggère Didier, "utiliser la crise (mais plus généralement la question économique, et plus précisément celle du capitalisme et de ses expressions) pour alerter sur des revendications concrètes".

    C'est ma pratique de la culture du contre, contre ce qui dans mes familles agit en défaveur de mon émancipation, de mon empowerment.

    Je ne loge tout cela qu'en moi et c'est déjà bien comme ça. I just show my true colours and hope for the best en comptant sur la capacité de mes frères et de mes soeurs à se libérer du regard des autres quand cet autre qui les regarde est lui-même affirmé et disposé à l'intervention et au partage.

    Conséquemment la tâche n'est pas énorme. Elle n'est pas une montagne à vaincre. Elle est un rayonnement perpétuel.

    F.B.

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  5. Moi maintenant, j'écris aussi avec une autre identité (super!!!!), c'est celle d'un homme gay "plus âgé". Fabien a un projet de travailler là-dessus, sur les mecs d'âges différents, et je crois que c'est une nouvelle couche de sujets à ajouter à ce qui peut être dit sur les gays today. C'est sûr que si j'avais 21 ans, je ne crois pas que je pourrais apostropher la communauté comme ça, bien que c'est aussi précisément ce que je cherche chez les jeunes! On en sort pas!

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  6. Un projet c'est beaucoup dire mais enfin oui je m'interroge sur les possibles d'un transgénérationnel gay dans une communauté comme la nôtre, c'est à dire par culture axée sur un désir jamais satisfait de nouveauté quand les associations, lieu historique et priviligié de cette transmission peinent à s'emparer du politique comme discuté au-dessus.
    Mais je me pose aussi la question du passage à la retraite d'une première génération de pd (et pour certains HIV+) qui s'assument et qui entendent (espèrent) bien pourvoir continuer d'être et d'aimer dans une organisation sociale du vieillissement qui ne laisse aucune place à la sexualité et encore moins à l'homosexualité.

    F.B.

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  7. De toute manière, Fabien, je te demanderai d'écrire ça, si possible, pour minorités.org. On voit bien que ces sujets d'âge, ça intéresse de plus en plus de monde (on devient vieux, il y a les questions de maisons de retraite, de comment on va vivre après 50 ans quand chez les gays on est "past the limit" et tous les rapports avec les jeunes. Je suis sûr que tu as jeté des idées sur le papier, surtout avec ton boulot qui te fait penser à ça, et on voit bien que c'est AUSSI une question de minorités à l'intérieur des minorités et de la société.

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  8. Whenever..Je te ferai passer des trucs au fur et à mesure.-)

    F.

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  9. Il y a une petite urgence historique et mémorielle, notamment sur les années sida. Vous avez mis en ligne des photos sur face book dont deux au moins ont une grande valeur mais méritent d'être commentées (fondateurs et premiers militants d'act up). A quand un livre de photos (avec quelques explications pour les générations futures), beaucoup d'hommes et de lieux ont disparus, cela parait has been mais le futur s'écrit aussi sur le passé.

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  10. J'approuve complètement le commentaire de la personne précédente.
    Ainsi la photo de groupe d'une dizaine de porteurs de T-Chirt d'Act Up lors de la Gay Pride de 1989 éclaire votre texte de "Act Up, une histoire" p. 41.
    Celles qui montre Luc Coulavin éclairent (notamment la dernière http://photos-c.ak.fbcdn.net/hphotos-ak-snc1/hs240.snc1/8728_143833069632_761944632_2453090_1135278_n.jpg)
    la page 45 :
    "Grâce à Luc [...],il nous a appris que nous n'avions pas à avoir peur d'aller au-devant des gens".

    D'autres photos éclairent plutôt "Kinsey 6, journal des années 80", certaines relèvent de votre vie personnelle, d'autres ont un intérêt plus large, notamment celles qui éclairent les interviewés de Magazine (Tom of Finland par ex.)

    Solange

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  11. Pour les deux derniers posts :
    Oui, of course. Je crois que ça viendra, ça se fera si un éditeur est intéressé. Ce que j'ai mis sur FB, c'est juste une partie des archives photos et sur mon site, oui, ces photos seront accompagnées de légendes, de textes, et de détails qui entourent, qui donnent le cadre. Ce qui m'excite beaucoup, quand ce site sera ouvert, c'est que les gens pourront donner des noms à toutes les personnes qui sont dans ces photos et que j'ai... oublié, ou que je n'ai jamais vraiment connues à l'époque. Par exemple, lors des Gay Pride, je photographiais souvent les mêmes mecs, mais je ne les connaissais pas toujours. Je les admirais dans un sens. Chaque année, je les retrouvais à la Gay Pride, et puis après ils ont disparu.

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